Bonjour, je suis Louis-David Benyayer et vous lisez FF68, la newsletter qui vous donne des pistes pour mener des mouvements stratégiques distinctifs.
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Cette semaine je vous livre l’exemple d’une entreprise que je commence à bien connaître qui fait sur beaucoup de points l’inverse de ce que font les autres … et cela lui réussit plutôt bien.
Ici vous verrez, c’est très différent.
Depuis quelques années, je suis en contact régulier avec les dirigeants d’une grande entreprise de biens de consommation. Lors de notre première rencontre, mon interlocuteur m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit sur un ton très solennel, “ici c’est très différent de ce que vous avez déjà connu, il va falloir que vous comprenniez bien nos spécificités”.
Ceux qui parmi vous cotoient régulièrement de nouveaux clients ont déjà vécu cette situation. Dès que la phrase est prononcée, votre cerveau se remémore toutes ces fois où l’on vous a formulé cette phrase et vous concluez avec un brin d’ironie “oui bien sûr, comme à chaque fois, c’est différent”. L’expérience vous a prouvé qu’il y a certes des différences, mais qu’elles sont plus faibles que ce qui est commun. Les problèmes sont souvent les mêmes, les organisations sont vicitmes de dérives comparables, les marchés ont souvent des dynamiques analogues.
Alors j’ai quitté la salle en me disant que c’était un client comme beaucoup d’autres qui pense qu’il est différent et qui ne l’est peut-être pas autant qu’il le pense.
Puis les jours et les mois ont passé et j’ai tenu une liste des différences. Elle est impressionnante car sur beaucoup de points, cette entreprise fait exactement l’inverse des pratiques habituelles reconnues comme étant performantes, tout en générant un niveau de performance de très haut niveau sur la durée :
Répartition central / local : Avec une gamme de plusieurs dizaines de produits vendus dans plusieurs dizaines de pays, le groupe n’est pas organisée de façon matricielle, les fonctions corporate centrales sont réduites et tout le pouvoir de décision est dans les mains des country managers.
Structure : le groupe a réalisé 101 acquisition en 10 ans (à peu près une par mois, avec une régularité de métronome) sans direction de la stratégie ou équipe fournie pour identifier des cibles, sans équipe dédiée à l’intégration.
Gouvernance : le capital est détenu à 100% par une famille, le conseil d’administration n’inclut aucun administrateur indépendant. Le directeur général du groupe y a passé toute sa carrière et assume la fonction depuis 10 ans.
Levier de performance : le contrôle de gestion industriel (et pas le marketing ou la finance) est l’instrument principal de performance.
Je pourrais continuer la liste en parlant des pratiques de recrutement et mobilité, des niveaux de dépenses en communication ou de la définition de la mission de l’entreprise. Sur chacun de ces points (et d’autres encore), le groupe va à l’inverse de la majorité de ses équivalents sur le marché ou de ses homologues dans d’autres secteurs.
La distinction dans le système
Que conclure de cet exemple ? Mon argument n’est pas que certaines orientations stratégiques ou organisationnelles qui ont fait leur preuve sont à jeter. Les vertus de la centralisation expliquent le succès de nombreuses organisations multinationales, il serait ridicule de les contester. Mon argument est que ces orientations doivent être interprétées et analysées les unes avec les autres, pas séparément.
Plus que les orientations individuelles, c’est le système qui fonde la performance, la distinction et sa difficulté à être copié ou concurrencé. Ce système reflète les choix stratégiques et la façon singulière d’arbitrer (par exemple préférer l’agilité à l’efficience).
La stratégie c’est l’art de la différence (ce que l’on fait de plus que les autres ou différemment et ce que l’on ne fait pas ou moins bien, délibérément). Dans un marché, chaque entreprise construit sa différence en fonction de ses atouts propres et de son contexte individuel (par exemple la nature de son actionnariat ou ses terrains d’excellence). Dans chaque marché, il y a plusieurs façons singulières pour être présent et performant.
Dans le cas que je relate, il se produit un effet de système entre les différentes composantes de cette carte stratégique. C’est la combinatoire qui fonde la performance et la distinction : organisation décentralisée + levier de performance industriel + actionnariat familial + boucles de décisions courtes. Plus encore les composantes se renforcent et interagissent (l’actionnariat familial permet les boucles de décisions courtes, qui renforce la décentralisation).
Un système marche, jusqu’à ce qu’il soit remis en cause
La description ne serait pas complète si j’oubliais une partie de l’histoire. Récemment, plusieurs pressions se sont exercées sur ce système cohérent qui a permis une performance durable. Elles s’exercent plus ou moins fortement mais de façon régulière, si bien qu’elles interrogent le système. Par exemple, à l’intérieur de l’organisation certaines voies s’expriment pour équilibrer différemment la répartition central / local pour bénéficier de synergies. Egalement, certaines acquisitions (souvent les plus importantes) ayant été moins génératrices de valeur qu’anticipé, la méthode d’intégration a été remise en cause et des mécanismes de centralisation ont commencé à être expérimentés.
Une question reste ouverte : dans quelle mesure ces évolutions, qu’elles soient souhaitées ou effectives, vont-elles casser un système bien huilé, à l’image du fragile équilibre du chateau de cartes menacé par le mouvement d’une seule carte à la périphérie. Par exemple : redéfinir le processus d’intégration en donnant une place plus importante au central ne va-t-il pas remettre en cause l’approche très décentralisée sur les opérations ?
Les marchés évoluent, les organisations s’adaptent, parfois brutalement, parfois par légers glissements continus. Les entreprises qui prospèrent parviennent à faire évoluer leur système stratégique en fonction de ces glissements légers ou brutaux.
Trois questions à vous poser
En conclusion, je vous propose 3 questions pour tracer votre voie :
Quelles sont vos différences : ce que vous faites et que les autres ne font pas, ce que vous faites mieux que les autres, ce que vous ne faites pas, ou moins bien que les autres, délibérément. Il peut s’agir de fonctions, de produits, de mode d’organisation, …
En quoi le réseau de ces différences vous rend-elles performant : comment ces différences interagissent-elles ? quelle valeur se dégage de leurs interactions ?
Quelles sont les vulnérabilités de vos différences : dans quelle mesure les évolutions que vous constatez (sur les comportements clients, l’environnement concurrentiel, l’engagement et les attentes des collaborateurs) exercent des pressions sur votre système ?
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A la semaine prochaine.